Résumé : la chronique de jurisprudence loi Littoral du mois d’octobre révèle plusieurs décisions intéressantes, notamment sur l’appréciation de la continuité avec les agglomérations et les villages existants à l’échelle du SCOT. A signaler également, plusieurs décisions sur la mise en œuvre de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Parmi celles-ci, un arrêt du Conseil d’Etat qui précise le moment auquel la continuité doit être appréciée lorsqu’une autorisation d’urbanisme modificative est délivrée. Le Blog commente également des décisions sur la notion d’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage et sur la notion d’espace remarquable. A noter également, une décision sur la sanction pénale de la méconnaissance des dispositions d’un schéma d’aménagement des plages.
Agglomérations, villages et secteurs déjà urbanisés
Degré de contrôle du Conseil d’Etat en Cassation – L’appréciation portée par une cour administrative d’appel sur la continuité avec une agglomération ou un village au sens de la loi Littoral est souveraine. Le Conseil d’État n’exerce donc qu’un contrôle de l’erreur de droit et de la dénaturation (CE, 1er juin 2017, n° 396498, Commune de Bénodet). Le Conseil d’Etat juge qu’une Cour administrative d’appel dénature les faits en jugeant qu’un projet localisé sur une friche industrielle, qui se trouve aux abords immédiats d’une usine, en continuité d’une zone d’aménagement concerté qui est elle-même en continuité d’une zone déjà urbanisée située à l’est n’est pas en continuité d’une agglomération existante (CE, 10 octobre 2022, n° 451030, Société Territoire Soixante-deux).
Le terrain d’assiette du projet. A l’est, l’usine VALEO et encore plus à l’est, la ZAC du chemin des près
Agglomérations et villages dans le SCOT Sud Martinique – Par un jugement du 7 avril 2022, le Tribunal administratif de la Martinique avait annulé partiellement le SCOT de l’Espace Sud Martinique pour méconnaissance de la loi Littoral. Le Blog avait commenté ce jugement. Le Tribunal avait estimé que les grands projets d’équipements et de services de la zone d’activité de Céron et du golf de Grand Fond ne respectaient pas le principe de continuité avec les agglomérations et les villages. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a une analyse différente. Elle relève, tout d’abord, que le SCOT prévoit que les grands projets d’équipements et de services ne pourront être réalisés que s’ils satisfont à une condition de proximité, laquelle s’entend comme une localisation « en continuité des bourgs et des quartiers existants ». S’agissant de la zone de Céron, la Cour précise qu’elle est située en continuité du site retenu pour mettre en valeur la distillerie des Trois-Rivières qui se situe, elle même, en continuité de l’urbanisation. Ce projet aura donc pour effet d’assurer la jonction entre la zone de Céron et l’urbanisation. Pour ce qui est du golf, la Cour rejette le moyen dans la mesure où puisque le SCOT ne détermine pas le lieu d’implantation du projet, il ne peut pas être incompatible avec les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme (CAA Bordeaux, 11 octobre 2022, n° 22BX02040).
Notion d’agglomération et de village – Conformément à une jurisprudence établie, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que la zone du Maresquier qui comporte une quarantaine d’entreprises et une cinquantaine d’habitation constitue une agglomération au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme (CAA Nantes, 7 octobre 2022, n° 21NT01888, Commune de Ouistreham).
La zone du Maresquier sur la commune de Ouistreham (carte interactive Géoportail)
La Cour administrative d’appel de Nantes juge que le lieu-dit Gouezan, sur la commune de Saint-Gildas-de-Rhuys, qui comporte une cinquantaine de constructions organisées autour de deux voies publiques constitue une agglomération ou un village (CAA Nantes, 18 octobre 2022, n° 21NT00776). Le projet de construction situé impasse du Tor est donc conforme aux dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.
Le lieu-dit Gouezan sur la commune de Saint-Gildas-de-Rhuys (carte interactive Géoportail)
Notion de continuité – Conformément à une jurisprudence constante, la Cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’un terrain séparé de l’agglomération par une autoroute n’est pas en continuité d’une agglomération ou d’un village existant (CAA Bordeaux, 20 octobre 2022, n° 20BX04231, Commune de Gujan-Mestras). Le Blog a commenté cette décision.
La Cour administrative d’appel de Nantes juge qu’une parcelle est en continuité de l’agglomération dès lors qu’elle fait partie d’un ensemble de constructions édifiées sur des parcelles mitoyennes qui s’étire jusqu’au centre bourg de la commune. L’hésitation était possible car le tissu bâti est relativement aéré. La Cour le relève mais elle juge que si la zone agglomérée « n’est pas extrêmement dense » – ce qu’on lui concède- , elle n’est pour autant « pas diffuse » (CAA Nantes, 4 octobre 2022, n° 21NT00219, Association « Protégeons le site et le panorama de Pen Guen »).
La parcelle AN 825 (ex AN 118p) sur la commune de Saint-Cast-le-Guildo (carte interactive Géoportail)
Appréciation de la continuité à la date de la délivrance d’un permis de construire modificatif – Le Conseil d’Etat juge que la continuité avec une agglomération ou un village existant doit s’apprécier non pas à la date de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme initiale mais à celle de l’éventuelle autorisation modificative. Il censure pour erreur de droit l’arrêt de la Cour administrative de Douai du 9 février 2021 qui avait jugé que dans la mesure où le permis d’aménager modificatif était sans effet sur la localisation du projet, sa conformité aux dispositions de l’actuel article L. 121-8 du code de l’urbanisme devait être appréciée à la date du permis d’aménager initial (CE, 10 octobre 2022, n° 451030, Société Territoire Soixante-deux).
Appréciation de la continuité au regard de la totalité d’un projet de lotissement – Par un arrêté du 14 juin 2017, le maire de la commune du Tour-du-Parc avait délivré un permis d’aménager un lotissement communal comportant 3 lots (une salle polyvalente et un parc de stationnement, une résidence séniors et une aire de jeux avec un équipement sportif). Contrairement à ce que qu’avait jugé le Tribunal administratif de Rennes, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que le lot n° 1 est situé en continuité directe du centre bourg. Elle ajoute que la circonstance que le lot n° 2 en soit séparé par une voie interne de 40 mètres rendue nécessaire par la présence d’une zone humide n’interdit pas qu’il soit, lui aussi, en continuité avec l’agglomération. La Cour ajoute à cet égard que l’extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme doit être appréciée « au regard de la totalité du projet concerné » (CAA Nantes, 4 octobre 2022, n° 21NT02546, Commune du Tour-du-Parc). L’appréciation de la continuité n’est pas une surprise puisque la même Cour avait estimé qu’un lotissement jouxtant celui attaqué dans la présente affaire était en continuité du bourg (l’arrêt est illustré dans cet article du Blog). Ce lotissement ne peut toutefois pas être pris en compte pour apprécier la continuité car il est dépourvu de construction à la date du permis d’aménager.
Les parcelles AH n° 4 et 5 et AE n° 47 au lieu-dit le Bois de la Salle sur la commune du Tour-du-Parc (carte interactive Géoportail)
Dérogation au principe de continuité pour les activités agricoles – Les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles peuvent déroger au principe de continuité avec les agglomérations et villages existants sous réserve qu’elles soient situées en dehors des espaces proches du rivage et qu’elles aient l’accord du préfet après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Le Blog avait consacré à un article à ce régime juridique qui a été substantiellement modifié par la loi ELAN. La Cour administrative d’appel de Marseille confirme qu’un élevage de chevaux peut bénéficier de ce dispositif dérogatoire. Le permis de construire est toutefois annulé au motif que l’accord du préfet n’a pas été recueilli. On peut noter qu’il s’agit d’une incompétence et pas d’un vice de procédure (CAA Marseille, 21 octobre 2022, n° 20MA01734).
Espaces proches du rivage
Notion d’extension de l’urbanisation – La réalisation d’un parc résidentiel de loisir composé de 25 emplacements destinés à accueillir des habitations légères de loisirs dans une zone d’activité qui comporte une quarantaine d’entreprises est une simple opération de construction et non pas une extension de l’urbanisation conformément aux principes de la jurisprudence « Soleil d’Or » (CAA Nantes, 7 octobre 2022, n° 21NT01888, Commune de Ouistreham).
Les parcelles AP 278 à 825, 289, 290, 300 à 326 et 329 sur la commune de Ouistreham (Carte interactive Géoportail)
Pour sa part, la Cour administrative d’appel de Marseille juge qu’une opération qui implique la démolition de 1 900 mètres carrés de bâtiment pour reconstruire 3 369 mètres carrés de surface de plancher n’est pas une extension de l’urbanisation mais une simple opération de construction. La Cour relève que si le projet comporte des bâtiments en R+2 et R+3 et crée 42 logements, il s’inscrit dans un quartier déjà urbanisé composé de maisons individuelles, de commerces et de plusieurs bâtiments en R+2 (CAA Marseille, 27 décembre 2022, n° 21MA03496).
Notion d’extension limitée de l’urbanisation – Une opération qui comporte une salle polyvalente, un parc de stationnement de 131 places, un maison de retraite, un espace de jeux totalisant une surface de plancher de 3 950 mètres carrés sur un terrain de 17 948 mètres carrés n’est pas une extension limitée de l’urbanisation (CAA Nantes, 4 octobre 2022, n° 21NT02546, Commune du Tour-du-Parc). La Cour relève que les constructions projetées sont situées sur un site dépourvu de construction et entouré de constructions anciennes et peu nombreuses. L’arrêt est illustré plus haut.
Bande littorale de cent mètres
Permis de construire modificatif – Les autorisations d’urbanisme modificatives sont indépendantes des autorisations initiales si bien que les droits acquis à l’occasion des secondes ne peuvent pas être remis en cause en cas de recours contre les premières. La Cour administrative de Lyon juge qu’un permis de construire modificatif qui réduit l’emprise au sol et la surface créée d’un projet ne porte aucune atteinte supplémentaire aux dispositions qui interdisent les constructions ou installations en dehors des espaces urbanisés de la bande de cent mètres (CAA Lyon, 18 octobre 2022, n° 21LY00538). Il ne méconnaît donc pas les dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme.
Espaces remarquables et caractéristiques
Notion d’espace remarquable et aménagement légers – La Cour administrative d’appel de Nantes juge qu’une zone humide qui, en outre, participe à la vitalité d’une zone de protection des oiseaux, constitue un espace remarquable au sens de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme. Une urbanisation et la voirie interne d’un lotissement sont illégaux dès lors qu’ils ne sont pas des aménagements légers (CAA Nantes, 4 octobre 2022, n° 21NT02546, Commune du Tour-du-Parc).
La Cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’un terrain situé dans une ZNIEFF de type 2, composé notamment de forêts marécageuses et qui constitue une zone de repos de gagnage ou de reproduction pour un grand nombre d’espèce animales n’est pour autant pas un espace remarquable dès lors que les espèces recensées sont communes et ne font l’objet d’aucune mesure de protection. La Cour ajoute que le fait que le terrain soit en continuité avec un espace remarquable n’est pas suffisant pour justifier cette qualification. Le jugement du Tribunal administratif de la Guyane qui était d’un autre avis est donc frappé d’un sursis à exécution jusqu’à ce que la Cour administrative d’appel de Bordeaux statue sur la requête en appel (CAA Bordeaux, 7 octobre 2022, n° 22BX02011, Société EDF production électrique insulaire).
Implantation du projet de centrale (Source : rapport du commissaire enquêteur)
Schémas d’aménagement des plages
Infraction pénale – La Cour administrative d’appel de Marseille juge que la méconnaissance des prescriptions d’un schéma d’aménagement des plages au sens de l’article L. 121-28 du code de l’urbanisme n’est pas une infraction couverte par l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme (CAA Marseille, 27 octobre 2022, n° 20MA01425, Société LP aménagement).